JEAN-CLAUDE BLANC

      Jean-Claude Blanc, de Bonneval-sur-Arc, nous a quitté le 23 mars 1976 dans sa quatre vingtième année. Avec lui disparaît une des plus remarquables personnalités de nos hautes vallées savoyardes.
C'était un homme de bien, un patriarche, père de 10 enfants, fier de ses 69 descendants presque tous restés à Bonneval. Le travail était sa loi, l'économie son devoir pour élever sa famille. II a passé toute sa vie dans sa maison construite de ses mains; où la pièce commune s'ouvrait sur l'écurie, soignant ses bêtes, cultivant un peu de terre, élevant amoureusement ses abeilles, ne quittant Bonneval que pour quelques semaines d'alpage dans ses chalets de la Feiche et de la Manda au-dessus de l'Ecot, en août et septembre. Il y récoltait le meilleur miel de Haute-Maurienne. Son plaisir était d'en offrir un pot à ses amis.
      Toute sa vie Jean-Claude Blanc a étudié les phénomènes naturels, les animaux, les plantes, le temps, la neige, les avalanches. Il puisait dans l'observation de la nature une part de sa sagesse. Mais il savait aussi juger les hommes avec pertinence, qu'ils fussent de son village, ou des étrangers. Son accueil était aimable, mais il rompait rapidement l'entretien quand le visiteur l'importunait, ou qu'il se présentait à l'heure où il " faisait " son miel ou regroupait les essaims.
      Au delà du jugement porté sur l'individu Jean-Claude Blanc s'intéressait à l'évolution des communautés montagnardes. Il prit une part déterminante dans celle de Bonneval.
      De mémoire de ses enfants, il a toujours été conseiller municipal. Il portait l'écharpe de Maire en 1937, quant le Président de la République, Albert Lebrun inaugura la route de l'Iseran. Il aimait son village avec passion, était imprégné de cette civilisation montagnarde que nous connaissons mieux aujourd'hui, et dont il a été le meilleur exemple.
      L'observation quotidienne des hommes et de la nature, lui permettait de confronter avec le réel les notions trouvées dans ses lectures. Car Jean-Claude avait une vaste culture. La qualité de ses pensées apparaît dans ses lettres, tracées d'une plume fine, écrites dans un style léger, pleines de sentiments délicats. Il y glissait toujours une phrase évoquant la nature, la floraison, le chant des oiseaux, l'hiver proche, et vers la fin de sa vie une allusion à son avenir incertain. A Noël 1975 il m'écrivait sans tristesse ni amertume, évoquant une prochaine rencontre : " Si Dieu me prête vie ".
      Sa foi était simple. Il disait : " J'ai essayé de donner des enfants au Bon Dieu ". La personnalité de Jean-Claude associait la bonté et l'énergie. Au moment de prendre une décision, la prudence du montagnard n'excluait pas l'audace quand le but lui paraissait intéressant. S'il avait jugé bon de s'engager, il le faisait avec toute sa volonté et toutes ses forces. Il aimait l'action, ne craignait pas d'innover. La rencontre de Jean-Claude Blanc avec Gilbert André fut un événement capital pour l'avenir de Bonneval. Gilbert André, jeune étudiant, passionné des Alpes, s'arrêtait quelques jours à Bonneval au cours de l'été 1953. Il avait, en esprit, conçu l'idée d'une zone privilégiée où seraient entretenus les sites, les vieux villages et les richesses de la civilisation des hautes vallées. Pour Gilbert la découverte de Jean-Claude fut une révélation. " Dès que j'ai rencontré Jean-Claude, dit-il, j'ai eu immédiatement le sentiment de me trouver en présence d'un de ces élus de l'esprit auxquels Alexis Carrel avait fait allusion en 1950 dans son ouvrage " Réflexions sur la conduite de la vie ". Carrel écrivait, parlant de la sagesse :... " C'est dans la foule anonyme des humbles que l'on rencontre parfois les vrais élus de l'esprit... on les trouvait autrefois parmi
les hommes et les femmes qui cultivaient leurs champs avec leur nombreuse famille... ".
      Jean-Claude Blanc a été un de ces élus de l'esprit et un sage, il a été un prudent et en même temps un homme d'action. Il n'a donné sa confiance à Gilbert André qu'après quelques mois de mise en observation. Dès lors, l'accord fut absolu entre les deux hommes. Jean-Claude donna sa caution à Gilbert. Les Bonnevalins prirent conscience de la valeur que représente à notre époque un village authentique et des traditions montagnardes entretenues.
      Dans les années 60, quand les premières études pour le Parc national de la Vanoise prirent corps Bonneval fut, comme l'avait souhaité Gilbert André depuis de nombreuses années, retenu comme l'exemple du village à maintenir. A la conservation de la faune, de la flore et des sites, on ajouta le respect de la civilisation traditionnelle; idée nouvelle qui aboutit à la création d'une zone périphérique ou Prépare.
Je puis dire, pour avoir suivi de près la génèse du Parc, du Prépare, puis leur mise en place, que sans Jean-Claude Blanc le Parc de la Vanoise n'aurait pas été, ou au moins qu'il aurait été très différent de ce qu'il est aujourd'hui.
      Jean-Claude a peut-être été le dernier des montagnards de la vielle génération. Le blé qu'il a semé pousse dru dans les villages du Prépare, et les moissons s'engrangeront grâce à lui pendant de nombreuses années.
A ses enfants, petits enfants et arrières-petits enfants, à Gilbert André qui fut son successeur et son ami, les Amis du Parc national de la Vanoise disent leurs sentiments émus. Ils entretiendront la mémoire de Jean-Claude Blanc, de Bonneval.


Dr. P.T.